jeudi 9 février 2012

Rêve. Partie I.

  J’ai lu une intéressante aventure imaginaire consistant à sauver la France en dix mesures (pour ceux qui me trouveraient redondant, oui, je trouve pas mal de choses intéressantes). Du coup, je me prends à rêver, à mon tour. Un beau rêve, d’ailleurs. Suite à je ne sais quel concours de circonstances, je suis fait président de la République, disposant d’une majorité libérale dans les deux chambres. Passée une (en fait sept) bonne(s) journée(s) de jubilation, je me mets au travail, en prenant bien soin de “jouer à la Constitution” avec mon Premier ministre et de multiplier les rencontres avec mes deux présidents de groupes parlementaires (pour ne pas les froisser). Je commence fort: une rencontre européenne (informelle, c’est moins rébarbatif) suivie d’une modification constitutionnelle.

La rencontre européenne informelle

  Le but est le suivant: indiquer à mes amis membres du club des gens omnipuissants ce que je veux et ce dont je ne veux même pas entendre parler.

Je veux tout d’abord une réforme du texte de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, pour qu’elle soit purgée de la quantité impressionnante de faux droits qu’elle consacre.

  Je veux ensuite une véritable consécration du principe de subsidiarité: la seule opération pouvant s’opérer entre l’échelon national et l’échelon européen est une délégation de pouvoir (révocable), et non une cession de pouvoir (irrévocable sauf à vouloir quitter l’UE). Ce qui exclut les compétences de coordination et les compétences partagées.

  Je veux une fusion du Conseil européen et du Conseil de l’Union Européenne au sein d’un nouvel organe, le Conseil des Etats, chargé de représenter les intérêts nationaux et de définir des orientations pour l’UE. Ce Conseil aurait un pouvoir non liant de proposer une législation européenne, un pouvoir de proposition du président de la Commission, et surtout, le pouvoir de déléguer ou de révoquer une délégation de compétence à l’Union. En sus de tout ceci, je voudrais ce Conseil doté d’un droit de veto s’agissant de l'application des normes européennes.

  Je veux l’attribution du plein pouvoir législatif au Parlement européen en matière communautaire seulement (matières déléguées par le Conseil). Sauf en matière budgétaire, où demeurerait la codécision.

  Je veux une réforme de la Commission européenne. Sachant que les Etats ont leur Conseil des Etats, on peut limiter à sa plus simple expression l’effectif de la Commission. A part le président, la nomination serait le fait du Parlement; elle aurait un pouvoir d’initiative législative, elle serait toujours compétente en matière d’exécution des actes communautaires au niveau centrale (elle serait, nouveauté, titulaire originel de cette compétente).

  Je veux la suppression du CESE et du Conseil des Régions, parce qu’ils sont inutiles et coûteux.

  Je veux que la BCE arrête l’impression massive de billets, quelle qu’en soit la cause. Je veux que les Grecs se dépatouillent seuls, que les Espagnols se dépatouillent seuls,…

  Je veux revenir sur le droit de vote des étrangers ressortissants d’un Etat membre de l’UE aux élections municipales: en France, cela conduit à donner à un étranger la possibilité d’influer, indirectement, sur la composition d’un organe concourant à la formation de la loi française (le Sénat). Et ça, je ne veux pas en entendre parler.

  Je veux enfin une Constitution de l’UE reprenant ces réformes, lisible, avec peu de renvoi et sans annexe, dotée d’une titanesque rigidité constitutionnelle.

  Je termine la rencontre en précisant qu’en cas de succombance sur l’un des points, la France quitte l’Union Européenne et demande son intégration à l’AELE. L’Allemand s’étrangle, l’Anglais rit aux larmes, le Tchèque m'aime, le Grec sent que le salut viendra pas de moi. Sans attendre les réactions du pachyderme européen, je rentre à Paris où je propose une réforme constitutionnelle (du moins, je joue à la Constitution et fait proposer une telle réforme au Parlement par mon ami le ministre de la Justice)

La réforme constitutionnelle

La Constitution préside aux destinées de l’ensemble de l’activité normative de l’Etat et des collectivités territoriales. Ma réforme doit permettre 1/ de lui redonner un rôle de “somme de vertus” 2/d’éviter que la résiduelle opposition parlementaire s’active à chaque projet ou proposition de loi en prétextant une inconstitutionnalité. Ma réforme (la réforme) comprend plusieurs mesures:

- le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 est modifié. Il ne comprend plus qu’un renvoi à la DDHC de 1789, ainsi que la reconnaissance de plusieurs dispositions: l’égalité entre tous les français devant les charges résultant de calamités naturelles nationales, la prohibition de toute guerre de conquête, l’interdiction de l’emploi des forces françaises contre la liberté d’un peuple, l’établissement d’un soutien minimal aux indigents, la proclamation de l’égal accès à l’instruction pour la “jeunesse désireuse de s’instruire”. Adieu le préambule de 1946, adieu la Charte de l’environnement, hérésies juridiques.

- le dernier alinéa de l’article 3 et le dernier alinéa de l’article 4, actuels fondements de la parité forcée entre hommes et femmes dans les fonctions électives, sont supprimés.

- le nombre de ministères est limité à huit: la Justice, l’Intérieur, les Affaires Etrangères, l’Instruction publique, les Travaux publics, la Défense, la Santé et les Assurances Sociales, les Finances publiques. La partie “préservation du patrimoine” passe à l’instruction publique, la partie “Economie” disparaît,… bref.

- le mandat présidentiel est de nouveau porté à sept ans, pour dissocier à nouveau le temps présidentiel du temps parlementaire.

- le cumul des mandats électifs est prohibé.

- le droit du Président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale est supprimé: il n’est plus possible de priver une législature, même socialiste, de ses dernières années d’activité sous le prétexte ridicule d’une légitimité électorale plus récente.

- les lois mémorielles sont interdites.

- l’adoption d’un budget en déficit est interdit; en cas d’impossibilité de parvenir à un accord permettant de présenter un budget en équilibre, le président de la République peut imposer le budget.  En cas de mauvaise foi de sa part, un budget “automatique” comprenant une baisse de 10% des dépenses de chaque ministère entre en vigueur. (ça fait tyran, comme ça, mais après tout, on parle des deniers publics, il faut bien motiver les députés)

  Après différentes péripéties, des petites phrases de ministres, des députés socialistes de droite ou de gauche hurlant au coup d’Etat, des associations citoyennes déplorant telle ou telle mesure, voilà ma réforme constitutionnelle adoptée. Je peux passer aux choses sérieuses, et présenter mes deux vastes plans avant la rentrée (j’abuse de la procédure d’urgence et je fais réduire par mes consciencieux députés le volume des congés parlementaires): la réforme de la fiscalité, d’une part, et la réforme du salaire, d’autre part. Comme ça, on aura une rentrée sociale agitée mais avec des textes déjà adoptés, et je pourrais réformer tranquillement le droit du sol. Si j’ai un problème d’ordre constitutionnel durant mon parcours, je demande une loi constitutionnelle, et on en parle plus.

  Au passage, je donne pour consigne de ne pas entretenir les colonnes de Buren: l’artiste, choqué et tout ému, demandera la destruction de son “oeuvre”, ce qui s’accomplira. Et moi, faussement triste, je dénoncerais le manque de moyens du fait d’une administration vorace. La République germanopratine passera deux bonnes semaines à regretter les colonnes, deux semaines pendant lesquelles je serais un rien tranquille sur des sujets plus importants.

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