samedi 10 décembre 2011

Moi j’aime bien le Royaume-Uni.

  Que j’aurais aimé être britannique ce matin. J’aurais pu ressentir une forme de fierté à la vue de mon Premier ministre rejetant un accord idiot mettant en péril la prospérité de ma nation. Quitte à supporter la phase de bashing médiatique subséquente ("Perfide Albion qui fait rien qu’embêter l’Europe depuis 1973”)

  Mais non. A la place, je suis français, et je dois supporter la réjouissance de mon président. De quoi se réjouit-il, tiens?

  D’un accord. Certes, il est toujours agréable de voir que la proposition qu’on a formulé est adoptée par tous ou presque. Mais la teneur de l’accord n’incite pas, mais alors pas du tout, à la fête.

  • Les sanctions automatiques

  Prenons l’idée de sanctions automatiques. C’est décidé, les sanctions seront automatiquement déclenchées en cas de dépassement d'un seuil de 3% du PIB de déficit public et de 60% du PIB d’endettement public.

  Pour rappel, les Etats de la zone Euro avaient l’obligation de présenter chaque année un programme de stabilité, permettant au Conseil Ecofin de faire des recommandations, éventuellement publiques. De plus, en cas de déficit public excessif (supérieur à 3% du PIB), le Conseil Ecofin avait l’opportunité de prendre des sanctions, après recommandations à l’Etat concerné. En 2001, le Portugal présente un déficit budgétaire excessif, suivi en 2002 par la France et l’Allemagne. En 2004, c’est la guerre! La France et l’Allemagne ne respectent toujours pas les critères du pacte de stabilité (si, si, ça a existé), la France se montrant intransigeante. Dès juin 2003, la Commission demande à cette dernière de réduire son déficit, sous la menace de sanctions. Fin 2003, le Conseil Ecofin, de son côté, lève ses menaces de sanctions (allez savoir pourquoi), désavouant la pauvre Commission.  Paris et Berlin estiment que si la lettre du pacte de stabilité n’est pas respectée, l’esprit l’est. La Commission et d’autres Etats estiment que le respect à la lettre du pacte est nécessaire, comme toute autre règle juridique issue d’un traité ou d’un accord. La CJCE, saisie de l’affaire, décide en juillet 2004 que le Conseil Ecofin a violé les dispositions du pacte, ce qui fait craindre une reprise des procédures.

  Fort heureusement, Paris et Berlin concoctent une réforme: hors de question de se laisser piéger par des règles trop simples, voire simplistes (c’était il y a… 7 ans). Paris obtient gain de cause: les sanctions sont pas automatiques (autre rappel intéressant: le ministre des finances français, entre mars et novembre 2004, s’appelait Nicolas Sarkozy. Un cousin sans doute). Mieux: pour que les déficits soient autorisés à dépasser 3% du PIB, il suffit d’un ralentissement prolongé, et non plus d’une récession. Des délais supplémentaires sont accordés aux pécheurs s’ils mettent en oeuvre des réformes structurelles. Contrepartie: il est demandé aux gouvernements de ne plus gaspiller les (éventuels) surplus de recettes fiscales. La réforme, après une phase de bourrage de crâne médiatique, est adoptée par le Conseil européen en mars 2005.

  En 2011, les principaux artisans de l’assouplissement du pacte de stabilité en 2005, pacte simpliste, idiot, comptable et non économique, proposent de… rendre les sanctions de dépassement automatiques. Apparemment, les critiques de 2005, pointant les risques de laxisme budgétaire, se sont avérées justes. Du coup, maintenant, on AGIT, on SAUVE LE MONDE, on fait des sanctions AUTOMATIQUES. Mais…

  Mais l’Eurogroupe pourra stopper la procédure, à la majorité qualifiée. Top différence: le Conseil Ecofin, plus large que l’Eurogroupe, avait l’opportunité de prendre des sanctions, et statuait le plus souvent à la majorité qualifiée. L’Etat membre en difficultés pourra conclure avec la Commission un “partenariat pour la réforme” précisant les mesures qu’il va mettre en oeuvre pour les surmonter. La nouvelle forme des recommandations, en somme. Quant aux sanctions… L’amende n’a jamais fait peur à la France (il n’y a qu’a voir les délais de transposition), quant à la suspension de versements de fonds européens, elle peut être contournée.

Conclusion: 1. Des Etats peuvent adopter un pacte de stabilité, s’assoir dessus malgré les critiques, et ré-adopter ledit pacte en le présentant comme révolutionnaire lorsque leurs politiques de déficits ont foiré; 2. le Quai d’Orsay risque de voir se créer une direction générale “Eurogroupe”, oeuvrant pour corrompre les “partenaires” en cas de dérapage. Parce que la France, réduire son déficit, elle peut pas. Une de nos nombreuses spécificités culturelles, à égalité avec le foie gras et le beaujolais nouveau.

  • La règle d’Or

  Chaque Etat devrait adopter une règle d’or prévoyant une trajectoire de retour à l’équilibre (mais SI, vous savez, le bidule qu’on nous promet premier ministre après premier ministre depuis 2003), de préférence au niveau constitutionnel. Génial. On signe un papier, on le ratifie; le papier nous impose de prendre une mesure à valeur constitutionnelle. Que se passe-t-il si le peuple refuse par référendum, ou si la majorité des deux tiers n’est pas atteinte? On se mange une pénalité parce que le souverain a exercé sa souveraineté? Apparemment, oui: la CJUE pourrait vérifier à la demande d’un Etat ou de la Commission la transposition de la règle. Ou: comment créer un monstre. Mais un monstre gentil: apparemment, la CJUE ne porterait pas de jugement sur les budgets nationaux.

  Une réflexion me vient. Que vaudrait un personnel politique qui ferait voter une norme contraignante en matière de déficit public non pas en fonction de sa nécessité pour les finances, et donc à terme pour la prospérité des citoyens, mais par crainte des réactions d’un organisme supra-national? Rien du tout.

  Autre réflexion, liée à la première question: quelles sont les sanctions? Le gel du bénéfice du marché commun? L’invasion? Je ne vois pas de sanctions autres qu’internes. Et en la matière, les Etats font la pluie et le beau temps. Bref, la règle d’or pour tous, issue d’un accord, ne sert à rien. (Ce n’est pas un plaidoyer pour son absence, bien au contraire).

  • La relative protection du secteur privé en cas de défaut

  Sûr, cela va nous sortir de la crise de la dette. Cela devrait “inciter le secteur privé à ne pas bouder les obligations d’Etat”. Logique: un investisseur va se ruer pour acheter votre dette, si vous lui promettez que le contribuable paiera au final. C’est purement génial: on se finance toujours par la dette d’un côté, on investi sans la moindre trace d’esquisse de risque de l’autre. Du moins, jusqu’à ce que l’argent du contribuable vienne à manquer. Mais bon: il restera toujours leurs enfants, et la planche à billet est toujours envisageable.

  Pas mal, pour un président qui s’était juré de “moraliser le capitalisme”: on lui retire tout sens de la responsabilité. Si le risque de faillite n’existe plus, on peut faire ce que l’on veut!

  • Le renforcement de la compétitivité et de la convergence

  On va mieux coordonner nos politiques économiques. Bon, une fois passée la crise de rire (“politique économique” française, c’est tordant, non?), on découvre ce que ce genre d’annonce recouvre (Noël avant l’heure): régulation financière, marché du travail, harmonisation fiscale, instauration d’une taxe sur les transactions financières, “politiques de soutien à la croissance” (celle que M. Sarkozy nous promet depuis son élection sans doute… Au fait, il est passé où, le “point de croissance” en plus?).

  • Le Mécanisme Européen de Stabilité financière

  Son lancement sera vraisemblablement avancé. C’est là qu’on comprend qu’on a tiré une carte “Chance” toute moisie… Non seulement on avance son lancement sans savoir quels seront les montants en jeux (ni, en fait, comment on va trouver de tels montants, une fois qu’on aura bien saigné l’économie, cf supra), mais en plus on se félicite de ce bidule.

  Le bidule qui va permettre aux cigales de refiler en douce, et dans l’allégresse générale, leur dette aux fourmis (enfin… fourmi, tout est relatif). Le bidule qui va forcer des Etats à emprunter à des taux inabordables pour qu’il soit financé, afin qu’il puisse mener à bien sa mission d’aider les pays confrontés à une crise de la dette. Brillant. Français.

 

  J’aurais VRAIMENT aimé être Britannique, ce coup-ci.

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