jeudi 27 janvier 2011

Comment économiser près de 40 millions d'euros rapidement


  Dans la présentation qui est faite de nos institutions, on omet souvent de traiter de la « troisième assemblée de la République ». Je n’en parle pour ma part quasiment jamais. Il est vrai qu’elle ne vient pas spontanément à l’esprit, ce qui est regrettable lorsque l’on sait qu’elle coûte annuellement près de 40 millions d’euros à la nation, comme le rappelait récemment le député de la Drôme, M. Mariton. Cette assemblée oubliée, c’est le Conseil Economique, Social et Environnemental, censé garantir une représentation nationale aux « forces économiques, sociales et environnementales » (certains y voient une représentation de la société civile… Pas moi). Ce bidule, dont l’ancêtre a été institué en 1925 après la présentation en 1919 d’un projet de « Conseil économique du travail » par le secrétaire général de la CGT de l’époque et des demandes insistantes de la part des syndicats ouvriers, a été sanctifié par la Constitution du 4 octobre 1958, et « grenellisé » en 2008 ; il sert surtout à être consulté et à permettre un dialogue entre « forces » que tout oppose. A l’occasion, il sert également de placard pour amis politiques. 

  Vous l’aurez sans doute compris, cette « noble » assemblée de 233 conseillers qui s’arroge l’occupation du Palais d’Iéna n’est que le relais institutionnel des intérêts privés les plus bruyants. Certains conseillers se plaignent d’une « politisation » du CESE. De fait, pas mal de « personnalités qualifiées » directement nommées en Conseil des Ministres sont… disons plutôt proches du pouvoir, ou l’ont été. De l’aveu même du président du CESE, M. Delavoye, « il y a toujours eu du copinage ». C’est vrai. Mais il oublie que le copinage est de l’essence même de son assemblée : après tout, il faut bien que quelqu’un décide qui est membre et qui ne l’est pas, qui a le droit d’en désigner et qui ne l’a pas... Observons sa composition. Elle fleure bon le lobbying, de mon point de vue.
  140 membres le sont au titre de la « vie économique et du dialogue social » : 69 représentants des salariés, 27 représentants des entreprises privées industrielles, commerciales et de service, 20 représentants des exploitants et des activités agricoles, 10 représentants des artisans, 4 représentants des professions libérales, et 10 personnes qualifiées. 60 membres le sont au titre de la « cohésion sociale et territoriale et de la vie associative » : 15 personnalités qualifiées, 11 représentants des activités économiques et sociales d’outre-mer, 10 représentants des associations familiales, 8 représentants de l’économie mutualiste, coopérative et solidaire non-agricole, 4 représentants de la mutualité et des coopératives agricoles, 4 représentants des « jeunes » et des étudiants, 8 représentants de la vie associative et des fondations.  Enfin, 33 membres le sont au titre de la « protection de la nature et de l’environnement » : 18 représentants des fondations et associations agissant dans le domaine de la protection de la nature et de l’environnement, 15 personnalités qualifiées dont au moins 3 dirigeants d’entreprises significatives du secteur. 

  Quant à la « politisation » dont certains conseillers font état, elle est antérieure aux nominations de l’ère Sarkozy. L’assemblée compte ainsi 17 membres pour le « groupe de représentation » CGT, 17 membres pour le groupe CFDT, 17 membres pour le groupe CGT-FO, 6 membres pour le groupe CFTC… Je ne considère pas les membres de tels groupes comme des « conseillers apolitiques ». Tout comme je ne considère pas comme apolitique M. Prévost, président de l’UNEF. Ni M. Roirant, président de la Ligue de l’Enseignement.
  L’anomalie n’est pas la politisation du CESE, l’anomalie est le CESE tout court : en quoi des groupes désignés comme étant représentatifs des « forces économiques, sociales et environnementales » peuvent-ils participer plus qu’un citoyen lambda à l’élaboration de la politique économique, sociale et environnementale par leurs conseils ? Qu’est-ce qui fonde leur représentativité ? Rien du tout : on a décidé arbitrairement qu’ils étaient compétents pour le faire, qu’ils avaient suffisamment de sagesse pour déterminer ce qu’était l’intérêt général. Et comme souvent, l’intérêt général est le cache-sexe d’intérêts privés. 

  En définitive, je soutiens la proposition de M. Mariton, lorsqu’il estime qu’il conviendrait de supprimer le CESE. Lui se fonde sur l’inutilité d’un organe très peu consulté, et considère que le débat peut-être plus fécond dans des instances consacrées à un seul sujet, type Conseil d’orientation des retraites, Etats généraux de la bioéthique, Conseil d’orientation pour l’emploi. C’est sur ces deux points que je ne suis plus d’accord : le CESE doit être supprimé car il est illégitime, et les instances consacrées à un seul sujet ne suscitent rien d’autre que de la méfiance chez moi (conseil d’ «orientation » pour l’emploi… fromage étatiste de plus qui doit en plus inclure les « partenaires » sociaux). Cela dit, le fondement importe peu : un CESE supprimé, c’est près de 40 millions d’euros économisés et sans sacrifice.